Interview du Professeur Jean-Sébastien Hulot, co-auteur de l’article « Correction par ingénierie génomique d’une mutation du phospholamban (R14del) associée à la cardiomyopathie dilatée » publié dans la revue Nature Communications.
Correction of human phospholamban R14del mutation associated with cardiomyopathy using targeted nucleases and combination therapy
Karakikes I, Stillitano F, Nonnenmacher M, Tzimas C, Sanoudou D, Termglinchan V, Kong CW, Rushing S, Hansen J, Ceholski D, Kolokathis F, Kremastinos D, Katoulis A, Ren L, Cohen N, Gho JM, Tsiapras D, Vink A, Wu JC, Asselbergs FW, Li RA, Hulot JS, Kranias EG, Hajjar RJ.
Nat Commun. 2015 Apr 29;6:6955. doi: 10.1038/ncomms7955.
Quel est l’objectif de cette étude ?
L’objectif de cette étude est de montrer que, grâce à différentes approches de thérapie génique, il est possible de cibler l’anomalie génétique responsable du développement d’une cardiomyopathie dilatée dans les cellules cardiaques et de le remplacer par un gène corrigé.
Sur quelles pathologies cette étude a-t-elle été menée ?
Cette étude s’est intéressée à l’insuffisance cardiaque dans les cardiomyopathies dilatées. Les cardiomyopathies sont liées à une faiblesse du muscle cardiaque qui peut conduire à une dilatation des cavités cardiaques et à une insuffisance cardiaque. Ces maladies sont souvent d’origine génétique. Plusieurs mutations génétiques ont été reliées à des cardiomyopathies, notamment les mutations sur le gène phospholamban (PLN), qui est un régulateur important de la fonction des cellules cardiaques saines et du calcium. En effet, le calcium joue un rôle clé pour les cellules cardiaques puisqu’il permet la contraction et le pompage du sang, du cœur vers les autres organes. Quelle est la mutation en cause sur le gène Phospholamban ?
La mutation RL14del sur le gène PLN a été identifiée chez plusieurs familles qui présentaient une insuffisance cardiaque héréditaire. La mutation fait apparaitre un muscle cardiaque dilaté associé à un dysfonctionnement de la contraction du muscle cardiaque, des arythmies et au développement d’une insuffisance cardiaque à l’âge moyen.
Comment l’étude a-t-elle été menée ?
L’équipe de recherche a collecté des échantillons de cellules de la peau chez des patients présentant une insuffisance cardiaque et une mutation R14del. Les cellules de peau des patients ont été transformées en laboratoire pour devenir des cellules souches pluripotentes induites (iPSCs). Ces cellules souches, qui portent la mutation génétique de l’insuffisance cardiaque du patient, étaient ensuite différenciées en cellules musculaires cardiaques spécialisées appelées cardiomyocytes, qui portent également l’histoire génétique du patient.
Qu’est-ce qu’une cellule souche pluripotente induite ?
Par opposition aux cellules souches embryonnaires, les cellules souches pluripotentes induites ont pour origine une cellule adulte somatique, redevenue pluripotente grâce à l’action de facteurs de croissance et de facteurs de transcription. Il est donc possible de prélever pratiquement n’importe quelle cellule chez un adulte et de la reprogrammer génétiquement pour la rendre pluripotente, c’est à dire capable de se multiplier à l’infini et de se différencier en n’importe quelles cellules, exactement comme une cellule souche embryonnaire. Ces cellules sont appelées IPS pour cellules souches pluripotentes induites (« induced pluripotent stem cells »).
Elles sont très étudiées pour leur rôle potentiel dans le traitement de maladies génétiques, de cancers, ou dans le remplacement d’organes.
L’examen de ces cellules cardiaques en laboratoire a confirmé que la mutation R14del cause des anomalies liées à l’insuffisance cardiaque telles que :
- Un pompage incorrect du calcium vers les compartiments cellulaires qui peut mener à l’hypertrophie du tissu musculaire cardiaque,
- Une instabilité électrique qui peut entrainer des arythmies,
- Des marqueurs moléculaires qui traduisent l’anomalie d’épaississement du muscle cardiaque.
Pour corriger la mutation génétique dans les cardiomyocytes, les chercheurs ont utilisé, avec succès, deux nouvelles techniques. Tout d’abord, ils ont utilisés un outil d’édition génétique appelé TALENs pour cibler et éliminer la mutation R14del associée aux cellules cardiaques. Les TALENs fonctionnent comme une paire de ciseaux qui permettent de couper précisément le gène malade puis de corriger la séquence génétique anormale. Cette correction a pour résultat de normaliser le fonctionnement des cardiomyocytes. Dans cette approche, la gène du patient est donc conservé et corrigé.
Ensuite, les chercheurs ont utilisé une approche de thérapie génique (utilisation d’un adéno-virus, virus inactivé servant de moyen de transports du gène à traiter vers les cellules cardiaques). Cette méthode fonctionne dans les cellules cardiaques malades pour supprimer l’expression du gène malade et apporter le matériel pour ré-exprimer un gène PLN normal. Cette approche de thérapie génique corrige aussi les anomalies fonctionnelles des cellules cardiaques. Dans cette approche, le gène du patient est éteint et remplacé par un gène normal.
Cette étude illustre l’utilité des modèles basés sur les cellules souches pluripotentes induites pour reproduire in vitro la maladie étudiée mais surtout pour tester de nouvelles approches thérapeutiques innovantes. Elle montre de plus le potentiel thérapeutique des approches d’ingénierie génomique qui permettent de modifier le génome « à volonté » et ouvrent donc la voie à une correction ciblée des mutations responsables de cardiomyopathies.
Retrouver le résumé de l’article ici.
A lire également :
Jeziorowska D, Korniat A, Salem JE, Fish K, Hulot JS.
Expert Opin Biol Ther. 2015 Jul 2:1-11.