Interview du Docteur Solena Le Scouarnec, premier auteur de l’article « Etude des mutations dans les gènes associés aux arythmies : impact sur le diagnostic moléculaire du syndrome de Brugada » publié dans la revue Human Molecular Genetics.
Le Scouarnec S, Karakachoff M, Gourraud JB, Lindenbaum P, Bonnaud S, Portero V, Duboscq-Bidot L, Daumy X, Simonet F, Teusan R, Baron E, Violleau J, Persyn E, Bellanger L, Barc J, Chatel S, Martins R, Mabo P, Sacher F, Haïssaguerre M, Kyndt F, Schmitt S, Bézieau S, Le Marec H, Dina C, Schott JJ, Probst V, Redon R.
Hum Mol Genet. 2015 May 15;24(10):2757-63. doi: 10.1093/hmg/ddv036. Epub 2015 Feb 3.
Sur quelle pathologie cette étude a-t-elle été menée ?
Cette étude a porté sur le syndrome de Brugada, un trouble du rythme cardiaque rare décrit en 1992. Le tracé électrocardiographique, typique, montre un sus-décalage du segment ST dans les dérivations précordiales droites, et est associé à des symptômes tels que des syncopes et la mort subite.
Chez 20 à 30 % des patients, des variations génétiques rares sont identifiées dans le gène SCN5A, qui code pour le principal canal sodique cardiaque (Nav1.5). Les mutations de ce gène ont également été associées à d’autres troubles héréditaires du rythme et de la conduction. Plus de 20 autres gènes ont également été associés au syndrome de Brugada. Cependant, à l’exception d’un seul gène identifié par analyse de liaison familiale (GPD1L), tous ont été identifiés par approche gène candidat en ciblant les gènes codant pour des canaux ioniques et leurs partenaires. La prévalence des mutations dans ces gènes est incertaine et se pose la question de l’intérêt de leur criblage pour le diagnostic moléculaire.
Quel est l’objectif de cette étude ?
L’objectif de cette étude est d’identifier le ou les gènes ayant un rôle majeur dans la survenue du syndrome de Brugada, parmi l’ensemble des gènes précédemment associés aux troubles du rythme cardiaque.
Comment l’étude a-t-elle été menée ?
L’étude a porté sur 167 patients qui présentent un syndrome de Brugada, recrutés par des centres de référence et de compétence des maladies rythmiques héréditaires. A partir de l’ADN de ces 167 patients, les 45 gènes précédemment associés aux troubles du rythme cardiaque, incluant les gènes associés au syndrome de Brugada, ont été séquencés grâce à une technique de séquençage haut-débit. Ce séquençage permet d’identifier toutes les variations génétiques codantes, qui conduisent à une modification de la séquence des protéines codées par ces gènes. Un intérêt particulier est porté aux variations rares, présentes sur moins de 1/1000 chromosomes dans la population générale, et qui peuvent soit être responsables de cette maladie rare, soit être totalement bénignes.
Pour identifier les gènes qui sont impliqués de façon significative dans le syndrome de Brugada, nous avons comparé, pour chaque gène, la proportion de patients et la proportion de témoins qui présentent des variations génétiques rares. Ainsi, nous avons pu montrer que parmi les 45 gènes précédemment décrits dans les troubles du rythme cardiaque, seul un gène, SCN5A, est plus fréquemment muté chez les patients que chez les témoins (20,4% des cas vs 2,4% des témoins, p = 1,4×10-7). Par contre, aucun enrichissement significatif n’a été observé pour tous les autres gènes de susceptibilité aux arythmies cardiaques, y compris SCN10A et CACNA1C qui avaient précédemment été décrits comme gènes majeurs du syndrome de Brugada. En effet pour certains gènes, de nombreuses variations génétiques rares, sans doute bénignes, sont détectées à la fois chez les patients et les témoins. De plus, peu de variations sont observées dans certains gènes (HEY2, SCN2B, SCN3B, RANGRF, FGF12, GPD1L, KCNE3, KCNJ8), à la fois chez les cas et les témoins, suggérant que des mutations de ces gènes peuvent être impliqués dans le syndrome de Brugada, mais qu’ils ont une contribution mineure dans la survenue de cette maladie.
Illustration : Pour le gène SCN5A, qui code pour le canal sodique cardiaque Nav1.5, un enrichissement significatif en variations génétiques rares est observé chez les cas (en rouge) par rapport aux témoins (en bleu). Les domaines transmembranaires sont représentés en gris.
Ces résultats confirment donc l’intérêt du criblage du gène SCN5A, seul gène majeur, pour le diagnostic moléculaire du syndrome de Brugada. Aucun autre gène de susceptibilité aux troubles du rythme décrit précédemment ne contribue de façon significative à l’incidence du syndrome de Brugada dans la population européenne. L’identification d’un grand nombre de variations génétiques rares dans certains gènes, à la fois chez les patients et les témoins, incite à la prudence quant à l’utilisation des données génétiques dans un cadre diagnostic.
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